Maison Tamboite, vélos artisanaux d’exception

Alors que je longe le Viaduc des Arts, mon regard s’arrête sur un objet de couleur bleue métallique qui stoppe net mon attention. Je crois le reconnaître. Je m’approche. Je ralentis le pas à sa hauteur. Je le scrute d’un oeil averti. La confirmation de mon intuition s’étale en lettres blanches : “Maison Tamboite – Paris”. Je lève les yeux sur le propriétaire. “Il est beau votre vélo”, lui dis-je. Le jeune homme met de côté son téléphone. “Merci, c’est moi qui l’ai fabriqué”, me répond-il, un brin de fierté dans la voix. Je viens de faire la connaissance d’Hugo Canivenc, artisan cadreur de “Maison Tamboite”. Un échange de cartes plus tard, je prends contact avec Frédéric Jastrzebski, le créateur de la marque parisienne de vélos de fabrication artisanale qui a relancé l’activité fondée par son arrière-grand-père un siècle plus tôt.

Maison Tamboite a installé son atelier-showroom dans l’ancien quartier artisanal de Paris au coeur du Faubourg Saint-Antoine. Je pousse une porte de la rue Saint-Nicolas qui ouvre sur un passage pavé et silencieux, à l’abri de l’agitation de l’avenue Ledru-Rollin. C’est dans l’intimité de cette cour confidentielle que résonnent les tours à usiner et à polir qui servent à la réalisation des vélos Tamboite.

“J’ai assisté attristé à l’arrêt de l’activité”

A mon entrée, je suis accueillie par le visage en noir et blanc de Léon, l’homme de passion grâce à qui tout a commencé. Le lieu conserve le souvenir de son aventure artisanale et entrepreneuriale passée. Les meubles à tiroirs de sa première boutique, l’outillage, le mince catalogue présentant les modèles de l’époque renvoient au début du siècle dernier où Léon, l’arrière-grand-père de Frédéric, lance sa toute première marque de vélos : les cycles Rich. Après la guerre, son fils le rejoint au sein de l’entreprise. Ensemble, ils reprennent l’affaire de Maurice Tamboite, ancienne star du Vel d’hiv et fabricant de vélos de compétition. De cette fusion naît “Les Cycles Tamboite” qui combine la technique de compétition héritée de Maurice Tamboite et l’exigence artisanale des Cycles Rich. Les vélos Tamboite exprimaient la liberté, le style et l’élégance dans un esprit tout parisien. En feuilletant les carnets de commande de l’époque, Frédéric a retrouvé les illustres personnalités qui ont enfourché les vélos de ses aïeux, parmi lesquelles Joséphine Baker, Marlene Dietrich, Sarah Bernhardt mais aussi Maurice Chevalier, Charles Trenet, Edith Piaf, Lino Ventura, ou encore Coluche. L’oncle de Frédéric reprend l’affaire mais, à la fin des années 80, les ateliers et la boutique ferment leurs portes quand celles de l’industrialisation s’ouvrent en grand. Désormais, on s’éloigne du travail de l’artisan pour acheter son vélo au supermarché. “J’ai assisté attristé à l’arrêt de l’activité”, se souvient Frédéric, alors âgé d’une vingtaine d’années.

“J’en garde le souvenir de la beauté des choses, d’une certaine forme d’éthique et de la grâce du travail manuel.”

“J’ai passé une partie de mon enfance dans l’atelier. J’en garde le souvenir de la beauté des choses, d’une certaine forme d’éthique et de la grâce du travail manuel.” Pourtant, il n’a jamais été question pour lui de reprendre le flambeau. “Je n’y avais jamais songé. J’étais programmé pour faire des études et exercer un métier intellectuel.” Le programme ne connaît aucune défaillance. Après des études de droits et Sciences Po, Frédéric devient courtier et patron d’une société de bourse jusqu’à l’apparition d’un bug dans le logiciel. “Ca a été une vie passionnante qui m’a apporté beaucoup de satisfaction. Mais j’avais envie de tourner une page, motivé par le besoin de nouveauté.”

En 2014, Frédéric relance avec son frère et leurs épouses respectives l’histoire familiale sous la marque “Maison Tamboite”. Et pour que puisse s’écrire le quatrième volet de la saga familiale, Frédéric fait appel à Hugo, jeune artisan cadreur de 25 ans : “C’est la rencontre avec Hugo qui a rendu ça possible.”

“Quand on a commencé, on n’avait rien, juste le logo.”

Dans l’atelier jouxtant le showroom, Hugo s’affaire dans un univers sépia, entouré de meubles ayant connus les ateliers des Cycles Tamboite. Originaire de Bretagne, ce passionné de vélo et de mécanique n’a pas hésité à quitter sa région pour “monter à Paris” et participer à l’aventure. “Quand on a commencé, on n’avait rien, juste le logo.” C’est à partir de clichés des vélos d’époque, qu’Hugo conçoit et dessine les nouveaux modèles, pour ne pas trahir la mémoire de la marque tout en l’inscrivant dans la modernité. “Marcel”, “Henri” et ”Dalou” sont les trois premiers modèles de la maison. Hugo travaille l’acier qui formera le cadre du vélo. Des opérations délicates qui requiert de la concentration et de la délicatesse, car dans cette maison artisanale, la perfection se niche dans les moindres détails. Concevoir les pièces d’assemblage nécessite un savoir-faire proche de la joaillerie. “J’utilise les mêmes outils qu’un joaillier comme la lame-aiguille ou le bocfil qui nécessite de la précision.”, m’apprend Hugo.

Dans le showroom, les vélos, posés au sol ou accrochés au mur, sont exposés comme des oeuvres d’art. “Si la définition d’une oeuvre d’art est basée sur l’idée de perfection, alors nos vélos sont des oeuvres d’art.” Une selle en cuir de buffle, des câbles de freins gainés de cuir en points selliers, un guidon habillé de cuir, des gentes en bois de hêtre… Les vélos Tamboite nécessitent trois mois de travail et sont le résultat d’une oeuvre commune : “Nous avons créé tout un éco-système d’artisans, essentiellement parisiens. Une dizaine de métiers artisanaux entre en jeu pour produire tous les éléments techniques et esthétiques d’un vélo.” Polisseur, chromeur, émailleur, maroquinier, ébéniste conjuguent leurs talents au service de l’objet. Je remarque adossé sur un mur du showroom, une toise qui me jauge du haut de ses 2 mètres 50. Frédéric pense-t-il qu’il peut encore grandir à 50 ans ? “Nos vélos sont fabriqués sur-mesure. Pour cela, nous prenons une quinzaine de mesures du client pour que le vélo soit parfaitement ajusté à sa physionomie.” Longueur des bras, des jambes, de l’entrejambe, du buste, pointure… à l’image d’un tailleur, Frédéric déroule le mètre pour que le vélo s’ajuste parfaitement à la morphologie du futur acquéreur.

Un produit sur-mesure qui a un prix. Compter 11 000€ et jusqu’à 15 000€ pour la version électrique, dont le petit moteur, niché dans le moyeu arrière se remarque à peine. Le prix de l’émotion grâce à une fabrication entièrement artisanale et un temps de fabrication long. “Nous nous adressons à un public qui envisage le vélo comme un élément de sa vie quotidienne et qui soit l’expression de son style de vie. A l’instar d’une montre, d’un bijou ou d’un sac à main, un vélo Tamboite va prendre sa place comme objet d’exception qui génère une vraie émotion.” Un objet de luxe en somme ? “Je n’aime pas trop utiliser le terme “luxe”, car ça ne veut plus rien dire. Le luxe n’est pas nécessairement synonyme d’un savoir-faire artisanal et d’une philosophie de la sincérité.

D’une beauté délicate et sans-fard, les vélos de la Maison Tamboite nous font du charme. Un oeuvre d’art peut-être, un objet sensuel certainement. Il suffit d’effleurer la douceur du cuir pour s’en convaincre. “On a envie de tâter le cuir et de caresser le bois !” s’amuse Frédéric.

Et dire que je repars en vélib’…