J’ai rendez-vous dans l’un des anciens pavillons que comptait l’Hôpital Saint-Vincent-de-Paul, investi depuis 2015 par le projet “Les Grands Voisins”. Le pavillon Pasteur, rebaptisé la Manufacture Pasteur, est un humble bâtiment de pierres blanchies d’un étage, dont la plate façade est dotée des courbes accommodantes d’un escalier en spirale bleu. Il me promettait une rencontre au sommet, alors même que c’est au rez-de-chaussée de ce bâtiment que je retrouve la céramiste Laurette Broll, qui y tourne la terre depuis octobre 2015. Mais avant de réaliser son rêve de devenir céramiste, la jeune femme en a éprouvé la réalité. Le métier a été disséqué, sondé, questionné, observé, testé pour enfin être adopté. Il y a des rêves qui ont la vie dure.
“Etre céramiste était un rêve inavouable.”
Formée en matériaux de synthèse à l’ENSAMAA Olivier de Serres, Laurette débute sa carrière comme assistante de la designeuse Vanessa Mitrani. Pourtant, Laurette a un rêve qu’elle n’ose s’avouer : devenir céramiste. Il faut bien être réaliste, céramiste n’est pas un métier “dont on vit”, s’entend-elle penser. Exit le rêve. Placardisé avant même d’avoir été éprouvé. “Devenir céramiste a été un long cheminement.” dit-elle. Le premier pas a été fait au Vietnam. Six mois de voyage aux allures d’enquête pendant lequel elle visite des ateliers de céramistes et de potiers, sème des questions, récolte des réponses, et voit germer de petites graines de confiance en ce métier. “J’ai vu comment ils travaillaient et j’ai découvert la vie dans un atelier.” A son retour, après avoir vu une annonce sur Le Bon Coin, elle devient stagiaire assistante de la céramiste Margaux Lhomme. Cette dernière finit par lui donner foi dans le métier, lui prouvant que l’on peut “en vivre”. La professionnelle l’incite à se former au tour ; ce que Laurette fera de février à juin 2015 chez Augusto Tozzola, un jeune homme de 90 printemps qui n’a pas fini de voir fleurir de jeunes céramistes. “Il travaille au tour depuis qu’il a 12 ans. Il n’arrive pas à s’arrêter. Quand j’ai commencé la formation à ses côtés, j’étais certaine que j’allais en faire mon métier.” L’enquête est close.
“C’est dur de trouver une identité. Cela signifie faire un choix, et du coup, abandonner tout le reste.”
C’est maintenant en elle que Laurette va devoir croire. “Je n’osais pas vraiment me lancer par manque de confiance. Je n’assumais pas complètement mon statut de créatrice”, avoue-t-elle aujourd’hui. Pour développer son identité, Laurette collabore avec une amie designeuse, Fanny Muller, avec qui elle créé sa collection d’objets utilitaires 2016. “C’est dur de trouver une identité. Cela signifie faire un choix, et du coup, abandonner tout le reste.” Ce qui sous-tend le travail de Laurette, c’est la recherche d’objets d’art de la table à la fois fonctionnels et esthétiques. L’usage, sans oublier l’élégance, le sobre, sans oublier la couleur. “La couleur, c’était ce que j’aimais dans les matériaux de synthèse. Quand j’ai découvert qu’en céramique aussi tu pouvais créer des couleurs, ça m’a enthousiasmé !”. Un travail chromique qu’elle aborde notamment en créant ses propres émaux, qui vont aussi donner du corps à ses pièces. Ils peuvent être mats, satinés, craqués, rugueux ou cristallisés. “Je passe beaucoup de temps à expérimenter. La céramique est un vaste terrain de jeu. On peut expérimenter sans fin.”
L’atelier baigne dans une lueur chaude et évanescente de fin de journée, à l’heure où le soleil fléchit. Sa salopette retroussée sur ses Stan Smith est tachetée de cratères nés de l’explosion de terre sur la surface du jean. La lumière trouve un écho dans la blondeur de ses cheveux ondulés. Debout devant sa table de travail, la céramiste façonne une assiette selon la technique de l’estampage, qui a pour spécificité de ne pas avoir recours au tour. Laurette applique une plaque de terre lissée sur un moule en plâtre. Patiemment, dans le jeu d’ombre et de lumière de son atelier, ses mains recouvrent la forme du moule. Lentement, la corolle de terre en épouse la forme. Il y a éclipse. Avec une infinie précaution, Laurette retire la forme du moule pour la faire sécher, comme on recueillerait un oisillon dans le creux de sa main.
Laurette Broll, céramiste, a réalisé son rêve. Son atelier est un songe.
Pour quitter les lieux, je me coule sans bruit dans l’interstice de la porte… de peur de la réveiller.