La ligne de départ se situe au 1er de la rue Daumesnil. Baskets aux pieds, je suis prête à en découdre avec le Viaduc des Arts et ses enjambées longues de six mètres. Il va me falloir faire du saut en longueur jusqu’au numéro 17, là où m’attend le réconfort après l’effort : la confiture de la marque “Confiture Parisienne” créée en 2015. Car aujourd’hui, après mon sprint contre les arches, je serre les mains de Nadège Gaultier et Laura Goninet, les deux créatrices de cette entreprise artisanale qui ont installé leur boutique-salon-de-thé-laboratoire-bureaux-stock rue Daumesnil.
Aaaah la confiture… Celle qui colle aux doigts comme aux souvenirs d’enfance. La confiture, pour moi, à la saveur des fruits qui envahissaient le jardin de Mamie Georgette, surnommée Mamie Go, toujours partante pour nous régaler. Grâce à elle, l’hiver avait un goût d’été et mon enfance conserve celui de la gelée de groseille. Adulte, j’attendais la phrase rituelle qui clôturait mes visites : « Tu veux un pot de confiture ?» Je descendais au sous-sol, coffre-fort sucré, et choisissais avec soin mon plaisir à venir. Ces pots de confiture n’étaient pas de simples pots de confiture. Ils renfermaient les pieds de framboisiers, le bruit de mes pas dans les graviers, l’odeur des roses de mon grand-père… Comme je suis gourmande, je retourne souvent me servir dans le pot de confiture de mes souvenirs.
Mais revenons à l’année 2019 et à nos confitures made in Paris. Jean taille haute, bottines à talons, mains manucurées, les deux jeunes femmes n’ont pas le même vestiaire que Mamie Go. Mais le sens de l’accueil et de la gourmandise, certainement.
A mon arrivée, Nadège, brune aux cheveux courts, ancienne publicitaire, me dégaine un sourire primesautier et s’avance d’un pas assuré en me disant : « C’est toi les mains baladeuses ? Faut que je me méfie alors ! » Je range mes mains dans mes poches, histoire d’éviter toute ambiguïté. Elle m’installe à une table pour me faire patienter et me propose un café… « Hop, le petit kawa. Tu veux quelque chose à grignoter ? Y a du cake coco et je te rajoute de la confiture ? » Je constate qu’elle me connaît déjà bien. En attendant Laura, je strabisme sur la carte du salon de thé « croque confiture, madeleine et confiture, scones et confiture,… » Laura, blonde aux cheveux longs, ancienne restauratrice, interrompt mon débit accru de salive et prend place en face de moi avec la même affabilité que Nadège. Une dualité capillaire sépare les deux jeunes femmes certes, mais un point commun les rassemble : l’enthousiasme.
On récapitule : Nadège me reçoit, Laura arrive, Nadège repart, Maud, la DAF de l’équipe apparaît, des clients s’installent, je suis servie du cake coco, un rire retentit, Tata Yo débarque avec son rire et sa copine Claudine. Le lieu bouillonne comme la confiture en préparation de l’autre côté de la cloison vitrée qui sépare le salon de thé du laboratoire, où s’affaire Jacky, le papa de Laura. La Confiture Parisienne, c’est une histoire d’amitié et de famille.
Tout a commencé sur le chemin de l’école. Pas le leur. Celui de leurs filles respectives alors âgées de 5 ans. A l’école comme à la ville, elles sont « meilleures copines ». Côte à côte à l’école, côte à côte à l’heure du goûter. C’est entre deux tartines servies au quatre-heures, que Laura et Nadège vont faire germer le fruit de leur future collaboration, qui se nourrira d’une envie commune : celle de créer une confiture d’exception, d’une de celle qui non seulement se tartine, mais se mange aussi à la petite cuillère.
« Châtaigne, poire et fève tonka », « framboise, abricot et anis étoilé », « gelée de framboise et chocolat noir manjari »… Pour donner corps et âme à leurs confitures, Laura et Nadège font appel à des chefs cuisiniers et pâtissiers. Ainsi, Cédric Grollet, chef pâtissier de Le Meurice a imaginé une crème de noisette inspirée de son dessert phare. Résultat (préparez-vous à saliver) : noisettes torréfiées, praliné caramélisé, caramel onctueux et pointe de fleur de sel. Le chef pâtissier du Prince de Galles, Nicolas Paciello, a créé la recette de la gelée « L’amour fou » composée d’hibiscus, de gingembre et de vanille. Quant au chef étoilé Akrame, la Confiture Parisienne lui doit un mélange aux saveurs d’Orient : figues rôties passées au miel d’oranger et recuites avec un filet d’huile d’olive. Mamie Go était décidément moins créative…
Il est temps pour moi de passer de l’autre côté du mur. Rituel de passage : la pose de la charlotte. Au chaudron, Marion, anciennement sous-chef pâtissier au Plaza Athénée, et Jacky, ancien pâtissier confiseur. « Tu sais ce qu’elle m’a fait faire ma fille ? » me lance-t-il. Je décèle dans cette phrase beaucoup d’amour, et un soupçon de fierté. Car il faut dire que pour sa fille, ce retraité heureux et peinard reconverti en apiculteur, a de nouveau retroussé ses manches pour soutenir le projet. Il a même cédé la maisonnette située à l’arrière du jardin pour la transformer en laboratoire. C’est là que les premières productions de la Confiture Parisienne ont été réalisées.
Dans les chaudrons, les fruits de la confiture « Quatre agrumes » s’accoquinent avec le soleil. Le bras métallique brasse, la préparation frisonne, les vitres s’embuent. Marion et Jacky surveillent de près la température. Aux premières ébullitions, louche à la main, le duo de confituriers remplit un broc dont il déverse le contenu dans les pots à confiture, un à un. Ensuite, les pots haute de couture en verre laqué de blanc enfileront leur tenue de soirée – étiquettes et sur couvercle – et seront prêts à défiler sur les rayonnages du Bon Marché, des Galeries Lafayette ou encore de la Grande Epicerie. Et sur votre étagère ?
Entre deux louches, Jacky me montre ses photos de vacances et me place dans la main une petite cuillère de la préparation en cours.
Il me semble bien que la Confiture Parisienne est une histoire de goût… des autres.